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Page:Boylesve - Mademoiselle Cloque, 1899.pdf/14

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LA MAISON DE LA RUE DE LA BOURDE

dont la femme était folle. M. d’Aubrebie et sa voisine Mlle Cloque ne s’entendaient sur aucun point, mais se voyaient assidûment. Il ne se passait guère de journée sans qu’on pût les apercevoir de la rue, l’un en face de l’autre, à une petite table de jeu où ils faisaient régulièrement et successivement deux parties de bésigue et une partie de dames ou deux, selon que la marquise, qui ne quittait point son hôtel, agitait un mouchoir à sa fenêtre, ou consentait à rester tranquille. La pauvre femme, d’une famille ultralégitimiste, et dont le cerveau avait toujours été débile, avait perdu la raison en 1873, au moment où s’agita et se résolut d’une manière irrévocable la question de la restauration de la royauté. Quand son mari n’était pas près d’elle, elle le confondait avec le roi absent, se lamentait, et faisait monter les domestiques pour leur demander s’ils pensaient que cette période d’anarchie pût durer longtemps, enfin s’impatientait jusqu’à faire à la fenêtre, du côté de l’exil, des signaux désespérés à l’aide d’un mouchoir qu’elle croyait être un drapeau blanc. Mlle Cloque, l’œil aux aguets, prévenait le marquis. Il interrompait la partie et rentrait mélancoliquement. C’était le rétablissement de la monarchie.

Et Mlle Cloque restait seule. S’il était encore de bonne heure, elle prenait sur une petite étagère un livre de dévotion ou quelque ouvrage du grand homme qui avait été le culte de sa vie