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MADEMOISELLE CLOQUE

La voiture s’engageait sur le pont ; il y avait une foule pressée, sous les parapluies, à la station des tramways ; elle croisa deux de ceux-ci qui se suivaient un peu plus loin, bondés et faisant chanter leur petite corne.

Il se produisit un encombrement autour d’une grande tapissière dont les chevaux étaient tombés sur le pavé glissant. Elle cria au cocher :

— Prenez bien garde !

Les choses extérieures s’emparaient peu à peu de son esprit fatigué. Elle faisait des efforts pour distinguer les voitures et les piétons, pantalons et jupes retroussés, comme si elle s’intéressait à quelque chose.

Au lieu de reprendre les quais, le cocher fila tout droit par la rue Royale, entre l’Hôtel de ville et le Musée municipal.

Elle vit l’hôtel du Faisan ; elle reconnut Mlle Zélie qui apparaissait à l’intérieur de la pâtisserie, comme si elle avait le cou et la taille coupés par les étagères de verre. Elle lut, à haute voix, dans une hébétude de pensée, les grandes lettres d’or de « Mönick, chirurgien-dentiste américain ». Et en les répétant, elle se souvint qu’elle devait faire soigner Geneviève qui s’était plainte d’une dent. « Pauvre enfant ! dit-elle, pauvre petite enfant ! » Et par le moyen de sa nièce à qui elle se devait corps et âme, le sentiment de sa misère présente lui remonta tout entier.