Page:Boylesve - Mademoiselle Cloque, 1899.pdf/384

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
377
LES COMBINAISONS DE LA PROVIDENCE

jusque dans leurs moindres détails, avec une précision qui lui incisait la chair à nouveau, et une abondance qui l’étouffait. La rose et la gouttelette de sang, la brusque entrevue chez Roche, la lettre de la tante mise à la boîte, les papiers du pupitre, le long hiver, le profil dans le catalpa, et jusqu’à la vue de la frise de faïence, au concert militaire, pendant que Jules Giraud parlait du sabotier !… Et son existence dans le village perdu : le maréchal ferrant, le tilbury du vétérinaire et la promenade du diabétique ; les lessives étendues dans le jardin clos de murs, et l’ombre émouvante des nuits sur la campagne, que les trains balafraient d’une longue écorchure : pas un souvenir, pas une image, pas une parcelle du temps ou de l’espace, pas une minute de ses jours ou de son sommeil qui n’eussent été imprégnés du regret de lui, du secret et fol espoir de seulement lui parler un jour ! Si elle ne lui disait pas tout cela d’un coup, dans cet instant unique où elle respirait son souffle et sentait le parfum de ses cheveux, il était donc inutile et vain d’avoir vécu ces longues heures de martyre solitaire, et combien il était vain de recommencer à vivre après cela !

Elle croyait qu’elle allait le lui dire, qu’elle allait s’abandonner en dépit de tout ; elle entr’ouvrait les lèvres.

Elle prononçait :

— Allez-vous-en ! allez-vous-en !