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LA LIBRAIRIE PIGEONNEAU-EXELCIS

Mais, M. Houblon, fouetté par le sentiment du danger s’exalta, pérora, pesta, invoqua tous les saints du paradis, électrisa son auditoire, l’étourdit, le tint comme fasciné sous l’éclat de son éloquence. Ah ! il avait de quoi foudroyer le Frère Gédéon ; il eût retourné bout pour bout, l’avis du Pape ! Tout au moins durant le temps qu’il parlait, Mlles Jouffroy recouvrèrent leur première opinion. Il était magnifique. On eût dit qu’il tenait les grandes orgues. Il fit tant de bruit que le libraire Pigeonneau ouvrit la petite porte de son atelier de reliure et parut, en longue blouse blanche, l’air effrayé derrière ses lunettes de travailleur modeste.

Pigeonneau était un homme timide et calme qui se montrait rarement et passait pour un niais à côté du brillant de sa femme. Cette apparition et cette figure effarée donnèrent à comprendre à quel point l’air était ébranlé ; ce fut comme le signe tangible de la période de troubles qui s’ouvrait.

Assurément il n’y avait là que le marquis d’Aubrebie qui ne tremblât point. Il dit, sur un ton plaisant qui fit l’effet d’un jet d’eau froide sur toutes les cervelles flambantes :

— Eh bien ! monsieur Pigeonneau, vous voilà encore là au lieu de préparer vos paquets : il paraît qu’on vous fait déménager !…

— Déménager ? dit Pigeonneau, complétement ahuri.

— Ces messieurs prétendent, lui dit sa femme,