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COMMENT S’EST FIXÉ LE SENS DES MOTS.

unes : mais il faut bien avouer que la plupart ne nous apprennent guère que ce que nous savions déjà ; elles nous donnent l’esprit de tout le monde, qui ne varie pas beaucoup d’une nation à l’autre. Nous allons en citer quelques exemples, priant d’avance le lecteur d’en excuser la simplicité. Il s’agit pour nous, non de faire admirer ces images, qui n’en sont plus, mais de montrer combien la langue en est pleine.

Comme il faut se borner, nous les puiserons toutes dans la même langue : le latin. Voyons, par exemple, comment le peuple romain nomme ce qui est bon et ce qui est mauvais.

Ce qui est bon : c’est ce qui va droit et en mesure (recte atque ordine), ce qui est plein et a du poids (integer, gravis). Mais la légèreté est un mauvais signe (levis, vanus, nullius momenti). Ce qui est de travers devient le symbole de toute perversité (pravus). L’intelligence est comme une pointe qui pénètre (acumen), mais la sottise ressemble à un couteau émoussé (hebes) ou à un plat qui manque de sel (insulsus). Un caractère simple est comparé à un vêtement qui n’a qu’un pli (simplex) : les motifs allégués à faux sont des bordures qui dissimulent le défaut de l’étoffe (prætextum). La bigarrure (vafer, varius) n’est pas loin de la tromperie.

Jusque-là les métaphores du langage ne présentent rien que d’irréprochable ; nous allons maintenant