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LA MÉTAPHORE.

un personnage d’Euripide. Τίς ἂν πόρος κακῶν γένοιτο[1] ; Le mot πόρος, qui désigne proprement un passage, particulièrement sur mer[2], est bien d’un peuple qui, de bonne heure, a connu les ὑγρὰ κέλευθα. Une affaire impossible, c’est ἄπορον πρᾶγμα. Les moyens financiers d’un État s’appellent πόροι. Encore aujourd’hui, chez les Grecs, « pouvoir » se dit ἐμπορέω.

Quelquefois toute une perspective historique se découvre à nous dans une métaphore. Le romancier grec Longus, dans l’histoire de Daphnis et Chloé, parle d’un piège à loup, d’une chausse-trape pratiquée dans la terre. Mais le loup ne s’y laisse pas prendre : αἰσθάνεται γὰρ γῆς σεσοφισμένης. Ce σοφίζω suppose Protagoras, Socrate, Platon, et tout un long passé de discussions philosophiques.

Le mot d’influence, dont il est fait si grand usage aujourd’hui, nous reporte aux anciennes superstitions astrologiques. On supposait qu’il s’échappait des astres un certain fluide qui agissait sur les hommes et sur les choses. Boileau emploie encore le mot en son sens primitif, quand il parle dans son Art poétique de l’influence secrète exercée par le ciel sur le poète à sa naissance. Le mot italien d’influenza fait allusion à quelque croyance analogue.

Toutes les langues pourraient ainsi constituer leur musée des métaphores. En allemand, le verbe

  1. Alceste, v. 213.
  2. Cf. Βόσπορος, « le Bosphore »