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COMMENT S’EST FIXÉ LE SENS DES MOTS.

comme dignitas, cupiditas, en grec les noms en της, comme δικαιότης, « la justice » ; φιλότης, « l’amitié », servait à former des noms exprimant une qualité, un état. Mais nous le voyons déjà devenir opaque en certains mots latins : civitas était d’abord la qualité de citoyen ; puis le même mot a désigné l’ensemble des citoyens ; il a fini par signifier « la cité ». Facultas, formé de l’adjectif facilis ou facul, marquait la possibilité de faire : mais facultates est devenu un synonyme de richesses. Le même suffixe existe en sanscrit et en zend, sous la forme tāti ou tāt. Déjà dans les védas, dēva-tāt désigne, non seulement la qualité ou la nature divine, mais l’ensemble des dieux (comme quand nous disons la chrétienté)[1].

Legio a d’abord été « la levée » : il est formé comme internecio, obsidio. Puis il est devenu le nom d’une unité militaire parfaitement déterminée, « la légion ». Pour marquer l’idée de « la levée », il a fallu créer de nouveaux mots, tels que delectus.

Pareil changement a eu lieu pour classis, qui est le grec κλῆσις, dorien κλᾶσις, et qui est devenu le nom romain de la flotte, après avoir désigné d’abord l’armée en général. Le sens primitif était « l’appel »[2].

Regio, formé comme legio, signifiait « la direction ». Rectā regione, « en ligne droite ». E regione,

  1. Rig-Véda, III, 19, 4 : ā vaha dēvatātim, « amène-nous les dieux ».
  2. Il est curieux de constater que classe a repris son ancienne signification dans notre langue militaire.