Page:Bréal - Essai de Sémantique.djvu/171

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
155
LA POLYSÉMIE.

de produire des exemplaires nouveaux, semblables de forme, mais différents de valeur.

Nous appellerons ce phénomène de multiplication la polysémie[1]. Toutes les langues des nations civilisées y participent : plus un terme a accumulé de significations, plus on doit supposer qu’il représente de côtés divers d’activité intellectuelle et sociale. On dit que Frédéric II voyait dans la multiplicité des acceptions une des supériorités de la langue française : il voulait dire sans doute que ces mots à sens multiples étaient la preuve d’une culture plus avancée.

Il faut nous représenter la langue comme un vaste catalogue où sont consignés tous les produits de l’intelligence humaine : souvent le catalogue, sous un même nom d’exposant, nous renvoie à différentes classes.

Donnons quelques exemples de cette polysémie.

Clef, qui est emprunté aux arts mécaniques, appartient aussi à la musique. Racine, qui nous vient de l’agriculture, relève également des mathématiques et de la linguistique. Base, qui appartient à l’architecture, a sa place dans la chimie et dans l’art militaire. Acte appartient à la fois au théâtre et à la vie judiciaire. Et ainsi de suite… Il n’en était pas autrement dans les langues anciennes. Σύνταξις, dans un

  1. De πολύς, « nombreux », et σημεῖον, « signification ».