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LA POLYSÉMIE.

verbe exigere, qui signifie tantôt « conduire dehors » et tantôt « peser ». Suétone rapporte que César avait le goût des perles et qu’il aimait à les peser dans sa main : sua manu exigere pondus. C’est donc seulement par les verbes dont ils dérivent que les deux sens se rejoignent[1].

Un vocable peut être ainsi conduit, par une série plus ou moins longue d’intermédiaires, à signifier à peu près le contraire de ce qu’il signifiait d’abord.

Maturus voulait dire « matinal » : lux matura était la lumière de l’aube. Ætas matura était l’adolescence. Faba matura, la fève précoce, par opposition à faba serotina. Un hiver précoce, matura hiems. De là est venu le verbe maturare, « hâter », que Virgile emploie quelque part avec fugam[2]. Appliqué aux produits de la nature, maturare a pris le sens de mûrir, et comme on ne mûrit qu’avec le temps, l’adjectif maturus, influencé par le verbe, a fini par devenir une épithète signifiant « sage, réfléchi ». Maturum consilium, « un dessein mûrement préparé ». Centurionum maturi, « les plus anciens parmi les centurions » (Suétone). Cette

  1. Un exemple en français de cette polysémie indirecte est grenadier, qui désigne tour à tour un soldat et une espèce d’arbre. Pour trouver le point de jonction, il faut remonter à la grenade. C’est surtout à cette fausse polysémie que s’alimente l’esprit de mots.
  2. Maturate fugam, regique hæc dicite vestro (Æn., I, 146).

    Maturandum Annibal ratus, ne prævenirent Romani (Tite-Live, XXIV, 1 2).