Page:Bréal - Essai de Sémantique.djvu/190

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
174
COMMENT S’EST FIXÉ LE SENS DES MOTS.

travaux, que les questions d’accentuation, de voyelle de liaison, d’ordre des termes, fussent tout. Je crains qu’on n’ait oublié l’essentiel, à savoir le sens, car c’est le sens, et non autre chose, qui fait le composé et qui, en dernière analyse, décide de la forme.

Il faut (c’est la condition primordiale) que, malgré la présence de deux termes, le composé fasse sur l’esprit l’impression d’une idée simple. Ἀκρόπολις désigne, non pas une ville plus ou moins élevée, mais la forteresse, la citadelle ; δολόμητις est synonyme de notre adjectif rusé ; πολύτροπος correspond exactement au latin versutus.

C’est la condition nécessaire et c’est en même temps la condition suffisante. Ainsi, en français, beau-frère, belle-fille, grand-père, quoique n’ayant rien qui les distingue extérieurement, sont des composés, parce que l’esprit, sans s’arrêter successivement sur les deux termes, ne perçoit plus que l’ensemble.

On a voulu distinguer ces composés français des composés comme ἀκρόπολις, en les appelant des juxtaposés. Mais la ligne de démarcation n’est visible que pour le grammairien. On a appelé de même juxtaposés les mots comme aquæductus, terræmotus, legislator, jurisconsultus, fideicommissum, parce que le premier terme porte la marque d’une désinence : mais pour le Latin, c’étaient des composés, et c’est même ce qui explique les particularités de phoné-