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COMMENT S’EST FIXÉ LE SENS DES MOTS.

choisir un suffixe, mais préparer la partie antérieure du mot. Ainsi le français, pour tirer des dérivés de frère, se sert du latin (fraternel, fraternité). Il est clair que les idiomes qui emploient habituellement des composés et dans lesquels les suffixes eux-mêmes sont d’anciens mots indépendants, n’ont pas à lutter contre des difficultés de ce genre. J’en citerai un seul exemple. Le voyageur Bleek, parlant des claquements de langue — en anglais, click — usités chez les Hottentots, emploie à ce propos, pour désigner certains dialectes qui, par exception, en sont dépourvus, le composé clickless. Ni le français, ni aucune des langues romanes, ne pourrait ici entrer en lutte avec l’anglais. Mais ce n’est sans doute pas un hasard que l’idée de la « pureté », l’idée dont sont sorties l’Académie de la Crusca et l’Académie française, soit éclose chez les nations qui se servent de dérivés.

Ne croyons pas cependant qu’un peuple soit jamais empêché de former les mots nouveaux dont il a besoin. Si nous retournons au latin, c’est que le français a grandi en quelque sorte sous les yeux du latin, et qu’une vieille habitude, qui s’est fortifiée de siècle en siècle, nous ramène de ce côté. Au cas où ce grand réservoir eût manqué, le génie populaire eût cherché dans une autre voie. L’homogénéité de certaines langues, comme le lithuanien, vient de ce qu’elles ont été amenées à tirer tout