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COMMENT S’EST FIXÉ LE SENS DES MOTS.

Les substantifs sont des signes attachés aux choses : ils renferment tout juste la part de vérité que peut renfermer un nom, part nécessairement d’autant plus petite que l’objet a plus de réalité. Ce qu’il y a, dans nos langues, de plus adéquat à l’objet, ce sont les noms abstraits, puisqu’ils représentent une simple opération de l’esprit : quand je prends les deux mots compressibilité, immortalité, tout ce qui se trouve dans l’idée se trouve dans le mot. Mais si je prends un être réel, un objet existant dans la nature, il sera impossible au langage de faire entrer dans le mot toutes les notions que cet être ou cet objet éveille dans l’esprit. Force est au langage de choisir. Entre toutes les notions, le langage en choisit une seule : il crée ainsi un nom qui ne tarde pas à devenir un signe.


Pour que ce nom se fasse accepter, il faut sans doute qu’à l’origine il ait quelque chose de frappant et de juste : il faut que par quelque côté il satisfasse l’esprit de ceux à qui il est d’abord proposé. Mais cette condition ne s’impose qu’au début. Une fois accepté, il se vide rapidement de sa signification étymologique. Autrement celle-ci pourrait devenir un embarras et une gêne. Quantité d’objets sont inexactement dénommés, soit par ignorance des premiers auteurs, soit par quelque changement survenu