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COMMENT LES NOMS SONT DONNÉS AUX CHOSES.

l’écho de notre propre pensée : il enregistre fidèlement nos préjugés et nos erreurs. Il peut nous étonner quelquefois, à la façon d’un enfant, par la franchise de ses réponses ou la naïveté de ses représentations : il peut nous fournir de précieux renseignements historiques dont il est le dépositaire involontaire[1] ; mais ce serait en méconnaître le caractère que de vouloir le prendre pour instructeur et pour maître.

Les mots créés par les lettrés et les savants ont-ils plus d’exactitude ? il n’y faut pas beaucoup compter. Au xviie siècle, Van Helmont, d’après un souvenir plus ou moins présent du néerlandais gest, « esprit », appelle gaz les corps qui ne sont ni solides ni liquides. Cela est aussi vague et aussi incomplet que spiritus en latin ou ψυχή en grec. Dans un sentiment de patriotisme, un chimiste français, ayant découvert un nouveau métal, l’appelle gallium : un savant allemand, non moins patriote, riposte par le germanium. Désignations qui nous apprennent aussi peu sur le fond des choses que les noms de Mercure ou de Jupiter donnés à des planètes, ou ceux d’ampère et de volt récemment donnés à des quantités en électricité.

  1. Quand tous les monuments de la céramique et de la sculpture auraient péri, les mots effigies, figura, fingere, nous diraient que les Romains n’ont pas été étrangers aux arts plastiques. Le seul substantif invidia nous apprendrait que la superstition de la jettatura existait à Rome. Telle est la nature des renseignements que nous fournit le langage.