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LA FORCE TRANSITIVE.

Mais εἴκω, s’étant construit avec l’accusatif, a pris en outre le sens de « laisser, abandonner ». Nestor, faisant des recommandations à son fils pour une course de chars, lui dit qu’en tournant la borne il doit exciter de ses cris le cheval de droite et lui abandonner les rênes :

τὸν δεξιὸν ἵππον
Κένσαι ὁμοκλήσας, εἶξαι τέ οἱ ἡνία χερσίν.

Cette succession d’idées est si naturelle qu’on peut s’attendre à la trouver encore en d’autres langues. En allemand, par exemple, « se retirer d’une affaire » se dit von einem Geschäft abtreten. Le verbe ici est neutre et a sa signification première. Mais on peut dire, en faisant transitif ce même verbe : Jemanden einen Acker, ein Recht, ein Land abtreten, « céder à quelqu’un un champ, un droit, un territoire[1] ». — En anglais, le verbe forego ou forgo signifie pareillement « se retirer » et « céder ».


Il y a loin du sens de « se tenir debout » à celui de « comprendre, savoir ». C’est pourtant le changement qui s’est fait pour la racine sta, non pas une fois, mais au moins trois fois.

  1. Jacob Grimm, dans son Dictionnaire, a interverti l’ordre des choses. Il considère le sens transitif comme le plus ancien. Il traduit par deculcare, et donne comme premier exemple : den absatz vom schuh, den schuh vom fusz abtreten. Dans la locution : ein Land abtreten, « céder un territoire », il croit voir une image : mit dem fusze von sich abtreten. La métaphore serait, à tout le moins, bizarre.