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COMMENT S’EST FORMÉE LA SYNTAXE.

(plus). — Il n’est personne (persona) qui l’ignore. — Je ne l’oublierai jamais (jam magis).

Ces mots, par leur association au mot ne, sont devenus eux-mêmes négatifs. Ils le sont si bien devenus qu’ils peuvent se passer de leur compagnon. Qui va là ? Personne. — Pas d’argent, pas de Suisse. — Sans la connaissance de soi-même, point de solide vertu. — Son style est toujours ingénieux, jamais recherché.

Il est intéressant pour la sémantique de consulter à tour de rôle, au sujet de ces mots, un dictionnaire de l’usage et un dictionnaire historique. Cette comparaison est comme un coup de sonde donné dans l’intelligence. Les deux réponses qu’on obtient sont contradictoires, mais, à la réflexion, quoique opposées entre elles, elles ont l’une et l’autre leur raison d’être et leur légitimité.

L’Académie française, dans son dictionnaire de l’usage, fait passer le sens négatif avant tous les autres.

« Aucun, dit l’édition de 1878, adj. Nul, pas un. » — « Rien. Néant, nulle chose. »

En quoi il ne faut pas blâmer l’Académie. Il entrait dans son plan d’expliquer les mots selon l’impression qu’ils font aujourd’hui. C’est, d’ailleurs, celle qu’ils faisaient déjà au xviie siècle :

… Laissez faire, ils ne sont pas au bout,
J’y vendrai ma chemise, et je veux rien ou tout.

Racine (Plaideurs).