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COMMENT S’EST FORMÉE LA SYNTAXE.

langues indo-européennes si propres à toutes les opérations de la pensée[1]. Encore aujourd’hui nous nous servons des mêmes moyens, auxquels les âges postérieurs ont à peine ajouté quelque chose. Si nous voulions scruter les procédés dont use la littérature la plus moderne pour renouveler les ressources et les couleurs de son style, nous constaterions qu’elle recourt à ces mêmes abstractions dont les premiers spécimens sont contemporains des védas et d’Homère.

Il n’est pas nécessaire pour cela d’imaginer des intelligences transcendantes. On peut distinguer divers degrés dans l’abstraction. Celle dont il est ici question tient plus de la mythologie que de la métaphysique. Elle est de même espèce que quand le peuple parle d’une maladie qui règne ou de l’électricité qui court le long d’un fil. Les abstractions créées par la pensée populaire prennent pour elle une sorte d’existence. Le monde a été rempli de ces entités. La forme de la phrase, où tous les sujets sont représentés comme agissants, est un témoin encore subsistant de cet état d’esprit. Le langage et la mythologie sont sortis d’une seule et même conception. Ainsi, comme on l’a déjà dit, s’explique ce

  1. On devine de quelle utilité ces suffixes ont été pour la langue philosophique. Le grec, en combinant les deux pronoms πόσος et ποῖος avec un suffixe abstrait, fait ποσότης, « la quantité », ποιότης, « la qualité ». De même, en latin, qualitas, quantitas. En sanscrit, le pronom tat, « ceci », donne, en se combinant avec le suffixe abstrait tvam, le substantif tattvam, « la réalité ».