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COMMENT S’EST FORMÉE LA SYNTAXE.

Y a-t-il en Europe des langues qui soient plus favorables que d’autres au progrès intellectuel ? À de légères différences près, on peut répondre que non. Elles sont toutes (ou presque toutes) issues de la même origine, bâties sur le même plan, puisant aux mêmes sources. Elles ont été plus ou moins nourries des mêmes modèles, perfectionnées par la même éducation. Elles sont donc capables d’exprimer les mêmes choses, quoique déjà dans les limites de cette étroite parenté il soit possible d’observer des aptitudes spéciales. Mais si l’on voulait sentir l’aide que le langage prête à l’intelligence et le tour particulier qu’il lui impose, il faudrait comparer quelque idiome de l’Afrique centrale ou quelque dialecte indigène de l’Amérique. En brésilien, le seul mot tuba signifie : 1o  il a un père ; 2o  son père ; 3o  il est père. En réalité tuba veut dire « lui père ». C’est le parler d’un enfant. Même des idiomes pourvus d’une riche littérature ne sont pas toujours un appui suffisant pour la pensée. En chinois, cette phrase : sin hi thien peut se traduire : 1o  le saint aspire au ciel ; 2o  il est saint d’aspirer au ciel ; 3o  celui-là est saint qui aspire au ciel. Le chinois dit simplement : saint aspirer ciel[1]. Le service que nous rendent nos langues, c’est de nous imposer une forme qui nous contraigne à la précision.


  1. Misteli, dans le Journal de Techmer, t. II.