Quand on va au fond de la répulsion que les mots étrangers inspirent à d’excellents esprits, on découvre qu’elle tient à des associations d’idées, à des souvenirs historiques, à des visées politiques où la linguistique est, en réalité, intéressée pour la moindre part. Aux puristes allemands, la présence des mots français rappelle une époque d’imitation qu’ils voudraient effacer de leur histoire. Les philologues hellènes qui bannissent les mots turcs du vocabulaire continuent à leur manière la guerre d’indépendance. Les Tchèques qui poussent l’ardeur jusqu’à vouloir traduire les noms propres allemands, pour ne pas laisser trace chez eux d’un idiome trop longtemps supporté, rattachent à leur œuvre d’expurgation l’espérance d’une autonomie prochaine. La « pureté », en pareil cas, sert d’étiquette à des aspirations ou à des ressentiments qui peuvent être légitimes en soi, mais qui ne doivent pas nous faire illusion sur la raison dernière de cette campagne linguistique. Une nation qui s’ouvre avec sympathie aux idées du dehors ne craint pas d’accueillir les mots par où celles-ci ont l’habitude d’être désignées. Ce qu’il faut condamner, c’est l’abus : l’abus serait d’accueillir sous des noms étrangers ce que nous possédons déjà. L’abus serait aussi d’employer les mots étrangers en toute occasion et devant tout auditoire.
Pour trouver la vraie mesure, il faut se souvenir