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QU’APPELLE-T-ON PURETÉ DE LA LANGUE ?

style, que les Latins ou que toutes les nations dont nous lisons les écrits. » Le public, en ceci, était de même, et ne demandait qu’à se laisser diriger.

Nous avons quelque peine aujourd’hui à nous figurer un public allant au-devant des interdictions et prêt à enchérir sur les défenses. Le linguiste, en ceci, a contribué à l’éducation du public. Le linguiste moderne ne repousse rien : tout ce qui existe a sa raison d’être… Mais le point de vue de ces législateurs était autre : et si nous considérons les langues où une période de réglementation a manqué, nous ne pouvons nous empêcher de constater qu’elles gardent comme un manque d’éducation première. Ce qu’on doit regretter seulement, c’est que l’épuration ne soit venue de meilleure heure. Les guerres de religion ont amené un retard de plus d’un demi-siècle. Disciplinée soixante ans plus tôt, la langue aurait gardé plus de souplesse, car ces bons maîtres étaient aussi appliqués à conserver qu’à émonder, et comme ils avaient soin « de toutes les grâces de notre langue », ils auraient sans doute sauvé quelques-unes des vieilles franchises[1].

  1. Je citerai comme exemple le gérondif, dont l’emploi a été réglementé à l’excès. Pour faire comprendre ce que je veux dire, prenons cette phrase : « Mon père m’a fait en partant mille recommandations ». Aujourd’hui la grammaire veut que « en partant » s’entende exclusivement du sujet. Il y a là quelque exagération, car « en partant » n’est pas autre chose que « au moment du départ », et c’est à nous de l’interpréter comme il convient d’après le sens général. L’italien s’est réservé à cet égard plus de liberté. Il est juste d’ajouter que cette règle n’est pas encore complètement observée au xviie siècle.