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QU’APPELLE-T-ON PURETÉ DE LA LANGUE ?

chez les enfants le libre épanouissement de leur faculté du langage[1]… De même que l’historien Savigny a montré que l’idée de droit et de morale n’était pas applicable au développement historique d’un peuple, de même l’idée de bien et de mal n’est pas applicable au développement d’une langue…

Il ne semble pas que ces doctrines aient le don de convaincre M. Noreen. Puisque le langage est notre grand moyen de communication, il faudra bien s’entendre sur la façon de s’en servir. Qui sera juge en cette matière ? Ici nous demandons la permission de citer textuellement l’écrivain suédois : « Ce ne sera pas, dit-il, l’historien de la langue, qui n’a la parole que pour le passé ; ce ne sera pas non plus le linguiste, qui a la charge de décrire les lois du langage, mais non de les dicter ; ce ne sera pas le statisticien, qui ne fait qu’enregistrer l’usage. À qui donc attribuer l’autorité ? Elle appartient à l’inventeur, à celui qui crée les formes dont se sert ensuite le commun des hommes, à l’écrivain, au philosophe, au poète… Nous sommes la foule, qui habillons notre pensée du vêtement créé par eux ; nous usons de ce vêtement et nous l’usons. Par nous-mêmes, nous ne pouvons contribuer que peu de chose au développement du langage ; encore est-ce seulement sous la direction de ces maîtres. Il

  1. Jacob Grimm, Préface de la première édition de sa Deutsche Grammatik.