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FAUSSES PERCEPTIONS.

il utilise ce qui lui reste. Il fait entrer du sens en des syllabes qui n’en avaient pas. La perception est donc fausse au point de vue de l’histoire, mais au point de vue de l’histoire seulement.

Le même exemple peut servir pour l’allemand. Il est même arrivé que l’allemand s’est si bien persuadé avoir une désinence, qu’il a mobilisé cette syllabe et en a fait librement usage. Non seulement il décline : der Ochs, die Ochsen, mais il fait : der Mensch, die Menschen, et même, en déclinant des mots d’origine étrangère : der Soldat, die Soldat-en.

L’allemand a une autre syllabe dont l’histoire est encore plus instructive.

Quand on dit que Kind fait au pluriel Kind-er, on donne à entendre que er est la désinence du pluriel : cependant er n’est pas autre chose que le suffixe es ou er que nous avons dans le latin gener-is, dans le grec γένε(σ)-ος. Ce qui n’a pas empêché que toute une catégorie de mots ait suivi ce modèle : die Weiber, die Lämmer, die Dächer, die Bücher, die Götter. On peut donc dire que le sentiment qui fait aujourd’hui reconnaître dans Kind-er, Weib-er, Häus-er une désinence du pluriel est, au point de vue de l’histoire, une fausse perception, ce qui n’empêche pas qu’elle soit devenue une désinence régulière de la langue[1].

  1. L’anglais child, qui faisait anciennement au pluriel cildru, cildre, a encore ajouté par-dessus la syllabe en : children. Sur l’identité pri-