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DE L’ANALOGIE.

gible et faillirait à son premier et unique objet. Nous voyons que chez l’homme du peuple un manquement à ce qu’il suppose la règle provoque soit le rire, soit le mépris.

Les formes qui déroutent par un aspect insolite sont donc considérées comme fautives et ramenées au type supposé régulier. C’est ainsi que les exceptions deviennent de moins en moins nombreuses et finissent par disparaître. Les linguistes, conservateurs par métier, sont ordinairement peu favorables à cette sorte de rangement. Mais l’analogie remplit ici un office nécessaire, sans lequel bientôt il n’y aurait plus qu’obscurité et désordre.

Mais il ne faut pas que le peuple ait à résoudre des problèmes trop difficiles : s’il se trouve des pièges sur sa route, il y tombe. Isidore de Séville enregistre un verbe de la première conjugaison, usité de son temps, prostrare, « jeter à terre » : c’est prostravi qui a produit ce verbe, le chemin qui conduisait à prosterno étant devenu trop difficile à trouver. Déjà en latin classique on a delere, « effacer, détruire », tiré du parfait delevi, lequel est un composé de linere. Il y avait un verbe præstare, composé de stare, qui faisait au parfait præstiti, « j’ai surpassé » ; un autre verbe præstare, dérivé de præstus (præ-situs), « préparé, prêt », a donc fait également præstiti, « j’ai préparé, j’ai fourni ».

La mémoire du peuple est courte. Nous voyons