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LES IDÉES LATENTES DU LANGAGE.

Il ne serait pas impossible, sans doute, de concevoir un rapport assez abstrait pour convenir uniformément à tous ces dérivés, surtout si, par la pensée, nous rétablissons le neutre, que notre langue a perdu. Mais examinons ce qui se passe dans notre intelligence quand nous employons ces mots : notre esprit, chaque fois, sous-entend une relation de nature concrète et d’espèce particulière. Le mot voiturier désigne un homme qui conduit une voiture, tandis que le mot carrossier est donné à celui qui fabrique des carrosses ; un cuirassier est un soldat armé d’une cuirasse ; mais un armurier est celui qui forge ou qui vend des armures. L’esprit devine ou sait par tradition des rapports qui ne sont nullement exprimés par les mots, et notre entendement achevé ce qui est seulement indiqué par le langage.

Il se peut qu’à l’origine de nos idiomes l’homme ait d’abord essayé d’égaler le nombre des suffixes à celui des relations que son esprit concevait. Mais c’est là une entreprise à laquelle il a dû renoncer bientôt, en présence de la variété des rapports qu’une expérience croissante lui faisait découvrir. Aussi, à mesure que les idiomes avancent en âge, ces auxiliaires de la pensée, loin d’augmenter en nombre, comme on pourrait le croire, tendent plutôt à diminuer. Les suffixes les plus usités étouffent les autres, c’est-à-dire que notre esprit, se contentant d’un certain nombre de signes, se confie de plus en plus à l’intelligence aidée par la tradition. Nous possédons, il est vrai, des langues artificielles où la seule terminaison