Page:Bréal - Mélanges de mythologie et de linguistique, 1877.djvu/319

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
307
LES IDÉES LATENTES DU LANGAGE.


de la richesse et de la variété de nos idiomes, car, à, l’aide d’un petit nombre de signes, ils produisent une quantité immense de combinaisons, et ce n’est pas tant par le nombre des mots existants, que par celui des formations possibles, que doit se mesurer la fécondité d’une langue. Il est vrai que ces dérivés laissent quelque chose à deviner à l’esprit. Mais un bon écrivain ne dit ni trop, ni trop peu il laisse à son lecteur le plaisir de s’associer à son travail et d’achever sa pensée. Ainsi font nos langues à suffixes elles s’adressent à bon entendeur, et elles omettent ce qui va sans dire.

Pour mieux apprécier l’élégante concision de nos dérivés, il est bon de jeter les yeux sur un idiome moins riche en suffixes formatifs que le nôtre. L’allemand traduit par des mots composés un bon nombre de nos dérives. Là où nous disons « pommier », il fait apfelbaum, c’est-à-dire « arbre à pommes ». Au lieu de « encrier », il a dintenfass tonneau à encre e. Pour « geôlier », il met gefangenwârter « gardien de prisonniers », ou kerkermeister « maître de cachot ». Sans parler de la démarche traînante de ces composés, ils ont le tort de faire passer deux idées devant notre esprit, quand, en réalité, la notion à exprimer est simple. Il est intéressant de voir que la langue allemande a, jusqu’à un certain point, senti ce défaut, et qu’elle a essayé d’y remédier. Les mots les plus fréquemment employés à la fin des composés ont été peu à peu dépouillés de leur personnalité, et ont pris le rôle de syllabes formatives. Il y a en gothique un substantif