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LES IDÉES LATENTES DU LANGAGE.


doms, qui signifie « jugement, connaissance ». Dès la période du vieux haut-allemand, ce nom est placé à la fin d’un grand nombre de composés à signification abstraite, tels que (nous citons la forme moderne) christenthum « chrétienté », heiligthum « sainteté ». Mais le sens du mot s’est tellement obscurci, qu’il fait aujourd’hui l’impression d’une syllabe formative. Quand un Allemand illettré prononce les mots eigenthum « propriété », königthum « royauté », bisthum, évêché », il n’y soupçonne point la présence du substantif doms, accouplé à eigen « propre », könig « roi », ou à episcopus « évêque », et instinctivement il élève le dernier membre de ces composés au rang de suffixe.

La composition des mots, qui joue un si grand rôle en sanscrit, en grec et dans les idiomes germaniques, ne laisse pas moins de place aux idées latentes du langage. Ce qui caractérise la vraie composition, c’est la suppression de toute désinence casuelle dans le premier membre, pour lequel la vie grammaticale est en quelque sorte suspendue. Mais si l’on ne marque point extérieurement la relation qui unit le premier terme au second, il ne s’ensuit pas que notre intelligence n’ait pas besoin de la concevoir. Elle y est, au contraire, obligée, et les deux termes du composé ne présenteraient pour elle aucun sens, si elle ne nouait point par la pensée le rapport que le langage se dispense de marquer. Dans le mot θεοτεβήζ « qui honore les dieux », le premier membre Θεο n’a pas avec le second la même relation que dans θεόδοτοζ ; « donné par les