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LES IDÉES LATENTES DU LANGAGE.


moment où le substantif, devenant transparent, laisse apparaître la racine attributive qu’il renferme.

Un autre moyen qui permet jusqu’à un certain point de distinguer le substantif de l’adjectif, c’est le choix des suffixes. Grâce aux nombreuses syllabes formatives que possèdent les langues indo-européennes, une répartition a pu être essayée, et certains suffixes, à une époque plus ou moins récente, ont été réservés pour les substantifs. En latin, par exemple, le suffixe tura sert à former des substantifs féminins, à signification abstraite, comme pictura, junctura, natura. Mais tura n’était pas autre chose, dans le principe, que le féminin du suffixe turus, tura, turum, qui est lui-même un élargissement du suffixe tor, servant à former des noms d’agents comme dator, victor. On a dit quelquefois que les Latins avaient érigé des abstractions en divinités il serait peut-être aussi exact de dire que la langue latine a transformé des noms d’agents en dénominations abstraites. Natura (pour gnatura, de la racine gen, gna), était la déesse qui enfante, avant de devenir le nom abstrait de la nature.

Pour distinguer de la sorte ce que la langue, dans son plan primordial, avait marqué du même signe, il ne suffisait pas que les idées d’attribut et de substance fussent présentes à l’esprit. Il fallait en outre que les idiomes indo-européens fussent riches et flexibles, pourvus d’une abondance de formes accumulées par un âge antérieur, de sorte qu’un âge plus récent les pût distribuer sans peine entre deux classes. Si la matière de ces langues avait été