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LES IDÉES LATENTES DU LANGAGE.


plus rebelle, la distinction du substantif et de l’adjectif serait restée une idée latente.

Il serait aisé de faire sur les autres parties du discours des remarques analogues. L’adverbe, par exemple, que nous nous sommes habitués à considérer comme un mot d’une espèce à part, est un nom ou un pronom que notre esprit subordonne à un autre mot de la phrase. Donnez à cet adverbe une force transitive, il deviendra préposition. Si, au lieu de le subordonner à un autre mot, l’on s’en sert pour coordonner deux termes ou deux phrases, on en fera une conjonction. Toute la syntaxe a d’abord résidé dans notre intelligence, et si plus tard des différences de forme ont plus ou moins séparé les parties du discours, c’est que le langage a fini par porter l’empreinte du travail intellectuel qu’il représente. C’est notre esprit qui anime le verbe d’une force transitive, enchaîne et subordonne les propositions, et dépouille certains mots de leur signification propre, pour les faire servir comme les articulations et comme les jointures du discours. L’unité de la proposition et de la phrase, non moins que celle du mot, est le fait de l’intelligence.

Pour apercevoir la part qui revient à notre esprit dans la vie apparente du langage, il est bon d’appliquer quelquefois le microscope étymologique à quelques lignes d’un morceau poétique ou oratoire, a une ode d’Horace ou à une période de Démosthène. Si nous ramenons tous les mots à leur valeur première, si nous disjoignons les flexions et défaisons les soudures, nous aurons devant