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Page:Braddon - Aurora Floyd, 1872, tome I.djvu/10

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AURORA FLOYD

dans cette arène couverte de sciure de bois, sauter au travers de cerceaux dorés et danser la cachucha sur six chevaux nus. On répétait aussi tout bas des cancans qui allaient plus loin encore, et que je n’ose pas rapporter ici, car les bouches qui déchiraient si impitoyablement et à si belles dents le nom et la réputation d’Éliza étaient inspirées par la méchanceté. Il pouvait se faire que quelques-unes de ces femmes eussent des raisons personnelles pour éprouver du dépit contre la nouvelle épouse, et que, dans ces charmantes villas du Kent, plus d’une beauté sur le déclin eût spéculé sur les revenus du banquier et sur les avantages d’une union avec le propriétaire de Felden.

La partie féminine de la société était étonnée et indignée de l’indolence des deux neveux écossais et de George Floyd, le vieux célibataire, frère d’Archibald Floyd. Pourquoi ces gens-là ne montraient-ils pas un peu de caractère et n’organisaient-ils pas un conseil de famille pour faire enfermer leur parent insensé dans une maison de fous ? Il le méritait bien.

La vieille noblesse du faubourg Saint-Germain, les duchesses hors d’âge et les vidames de l’autre siècle n’auraient pu médire d’un orléaniste enrichi avec plus de rancune mordante que tout ce monde n’en mettait à jaser sans relâche sur le compte de la femme du banquier. Chacun de ses actes était un nouveau sujet de critique ; à propos même de ce premier grand dîner dont nous avons parlé, quoiqu’Éliza ne se fût pas plus mêlée des préparatifs du cuisinier et de la femme de charge que si elle eût été en visite au palais de Buckingham, les invités dans leur mauvaise humeur trouvèrent que tout avait dégénéré depuis que « cette femme » était entrée dans la maison. Ils détestaient l’heureuse aventurière : ils la détestaient pour ses beaux yeux et pour ses magnifiques bijoux, présents extravagants d’un mari passionné ; ils la détestaient pour sa majestueuse prestance et pour ses mouvements pleins de grâce qui ne trahissaient jamais la prétendue obscurité de son origine ; ils la détestaient surtout pour son insolence, parce qu’elle n’avait pas le moins du monde l’air effrayé à