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AURORA FLOYD

laquelle il y avait un abat-jour, et Mlle Floyd était assise à la fenêtre qui n’avait pas de rideaux, le coude appuyé sur le rebord garni d’un coussin, regardant le ciel glacé et le paysage blanchi par la neige. Elle était vêtue de noir ; son visage, son cou et ses bras brillaient d’une blancheur de marbre auprès de la sombre couleur de sa robe, et son attitude était immobile comme celle d’une statue.

Elle ne bougea ni ne regarda autour d’elle, lorsque Talbot entra dans sa chambre.

— Ma chère Aurora, — dit-il, — je vous ai cherchée partout.

Elle tressaillit en entendant sa voix.

— Vous vouliez me voir ?

— Oui, ma très-chère enfant. J’ai besoin que vous m’expliquiez quelque chose. Une chose assez folle, sans doute, ma chère enfant, et, naturellement, très-facile à expliquer ; mais, en ma qualité de futur mari, j’ai le droit de vous demander une explication, et je sais, Aurora, je sais que vous me la donnerez en toute franchise.

Elle ne parla pas, quoique Talbot se tût quelques instants, en attendant sa réponse. Il ne pouvait voir que son profil, faiblement éclairé par le ciel glacé. Il ne put distinguer la douleur muette, la pâle douleur dont ce jeune visage était empreint.

— J’ai reçu une lettre de ma mère, et il y a dans cette lettre quelque chose que je désire que vous m’expliquiez. Vous la lirai-je, ma chère enfant ?

Sa voix balbutia en prononçant ce terme d’affection, et il se souvint plus tard que ç’avait été la dernière fois ou il lui avait parlé avec la tendresse d’un amant. Le jour vint où elle eut besoin de sa compassion, et où il la lui prodigua volontiers ; mais à ce moment sonna le glas de l’amour. À ce moment le gouffre s’ouvrit et les rochers se fendirent.

— Vous lirai-je la lettre, Aurora ?

— S’il vous plaît.

Il tira la lettre froissée de sa poitrine, et, se penchant sur la lampe, il la lut tout haut à Aurora. Il s’attendait positivement qu’elle l’interromprait à chaque phrase pour s’em-