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Page:Braddon - Aurora Floyd, 1872, tome I.djvu/15

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AURORA FLOYD

malgré tout, il tomba amoureux d’elle. Ce fut une nouvelle édition de l’éternelle histoire, vieille comme le monde. Ce fut l’histoire d’Arthur de Pendennis ensorcelé et transporté par Mlle Fotheringay au petit théâtre de Chatteries, avec cette différence que, au lieu d’un faible et impressionnable adolescent, c’était un homme de quarante-sept ans, versé dans les affaires, calme, posé, qui n’avait jamais, avant ce soir-là, ressenti le plus léger frémissement d’émotion en voyant un visage féminin. À partir de ce soir-là, par exemple, le monde ne renferma plus pour lui qu’un seul être, la vie n’eut plus qu’un seul but. Il retourna au théâtre le lendemain, puis le surlendemain, et s’arrangea de façon à lier connaissance avec quelques-uns des acteurs dans une taverne voisine du théâtre. Ils le grugèrent d’importance, ces comédiens râpés ; ils lui firent payer une infinité de grogs, le flattèrent, le cajolèrent, et arrachèrent le secret de son cœur ; puis ils allèrent rapporter à Éliza qu’elle était tombée sur une bonne aubaine, qu’un vieux garçon, qui avait toujours de l’argent plein ses poches, était amoureux fou d’elle, et que, si elle savait bien mener sa barque, elle l’épouserait dès le lendemain. Ces bons apôtres le lui montrèrent par un trou percé à la toile : il était assis presque tout seul dans une des loges, attendant que la pièce commençât et que les yeux noirs d’Éliza vinssent l’éblouir encore une fois.

Éliza rit de sa conquête ; ce n’en était qu’une de plus parmi un grand nombre d’autres analogues, qui avaient toutes eu le même dénoûment et ne l’avaient conduite à rien de mieux qu’à la location d’une loge le soir de son bénéfice, ou à un bouquet laissé pour elle à la porte du théâtre. Elle ne connaissait pas la force d’un premier amour sur un homme de quarante-sept ans. Une semaine ne s’était pas écoulée, qu’Archibald lui avait fait l’offre sérieuse de sa main et de sa fortune.

Il avait appris beaucoup de choses sur son compte par ses camarades de théâtre, et il n’en avait entendu dire que du bien. C’étaient des tentations auxquelles elle avait résisté ; des bracelets de diamants qu’elle avait refusés avec indigna-