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Page:Braddon - Aurora Floyd, 1872, tome I.djvu/172

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AURORA FLOYD

lassèrent jamais d’Aurora en personne ; elle prit tout de suite place parmi eux, ils s’inclinèrent devant elle et l’adorèrent, enviant à John la possession d’une si belle pouliche de race : métaphore dont, je le crains, ils étaient hommes à se servir, mais sans avoir conscience de ce qu’ils disaient, pour désigner ma belle héroïne.

Le domaine dont Aurora était souveraine était assez considérable. Mellish avait hérité d’une propriété qui lui rapportait un revenu de 16 à 17,000 livres sterling par an. Des fermes situées au loin, s’étendant sur les vastes plaines du comté d’York et les marécages du comté de Lincoln le reconnaissaient pour maître ; lui-même connaissait à peine les secrets compliqués de ses propriétés, auxquels personne peut-être n’était initié, sauf son régisseur et son homme d’affaires, grave personnage qui habitait Doncastre et arrivait dans sa voiture à peu près une fois tous les quinze jours à Mellish Park, au grand effroi de son insouciant maître, pour qui les affaires étaient un affreux cauchemar. Non pas que je désire que le lecteur s’imagine un seul instant que Mellish était un niais et un cerveau vide, n’ayant d’intelligence que pour ses plaisirs journaliers. Mais ce n’était ni un savant, ni un homme d’affaires, ni un profond politique, ni un érudit adonné à l’étude des sciences naturelles. Il y avait un observatoire au Park, mais John en avait fait un fumoir, dont les ouvertures, ménagées dans la toiture, présentaient une issue commode aux effluves des cheroots et des havanes de ses convives ; Mellish ne s’inquiétait guère des étoiles qu’à la façon de ce monarque assyrien qui se contentait de les contempler et de remercier le Créateur de les avoir faites si belles. Ce n’était pas non plus un spiritualiste. Malgré tout, ce n’était pas un fou ; il était doué de cette intelligence clairvoyante qui accompagne très-souvent l’intégrité, la pureté d’intention, et qui est la véritable intelligence, la plus capable de toutes de déjouer la lâcheté. Ce n’était pas un homme méprisable, car sa faiblesse même dénotait de l’énergie. Peut-être Aurora l’avait-elle compris, et trouvait-elle que c’était quelque chose que de dominer un tel