Aller au contenu

Page:Braddon - Aurora Floyd, 1872, tome I.djvu/188

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
184
AURORA FLOYD

John eut un clignement d’yeux rempli de malice : il était évidemment à demi préparé à ce qu’il allait arriver.

— Qu’est-ce, Lolly ?

Lolly était une corruption d’Aurora, inventée par Mellish.

— Eh bien, je crains réellement, cher, qu’il n’en ait pas encore pris son parti…

— De ce que je l’ai emporté sur lui ! — s’écria John, — je le pensais. Pauvre diable… pauvre Talbot !… Je voyais bien qu’il avait grande envie de se battre avec moi à York. Sur ma parole je le plains !

Et pour preuve de sa compassion, Mellish partit d’un bruyant éclat de rire, que Talbot aurait presque pu entendre de l’autre bout de la maison.

C’était l’illusion favorite de John. Il croyait fermement avoir gagné l’affection d’Aurora, en rivalité loyale avec Bulstrode ; ignorant complaisamment que le Capitaine avait abandonné toute prétention à la main de Mlle Floyd neuf ou dix mois avant que la demande de John eût été agréée.

Cet homme plein de naïveté avait l’habitude de se tromper ainsi lui-même. Il voyait tout dans le monde comme il désirait le voir ; pour lui, tous les hommes étaient bons et honnêtes, toutes les femmes tendres et fidèles ; la vie n’était qu’un long et agréable voyage à bord d’un vaisseau bien approvisionné, monté seulement par des passagers de première classe. C’était un de ces hommes qui doivent se couper la gorge ou prendre de l’acide prussique le jour où ils rencontrent pour la première fois le sombre visage du Souci.

— Et qu’allons-nous faire de ce pauvre garçon, Lolly ?

— Le marier !…

— Avec nous ? — dit John naïvement.

— Mon cher ange, quel vieil obtus chéri vous faites ! Non ; le marier à Lucy, ma cousine germaine, qu’il a dédaignée autrefois, et garder dans la famille le domaine de Bulstrode.

— Le marier à Lucy !

— Oui ; pourquoi pas ? Elle a assez étudié ; elle sait assez d’histoire, de géographie, d’astronomie, de botani-