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Page:Braddon - Aurora Floyd, 1872, tome I.djvu/189

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AURORA FLOYD

que, de géologie et d’entomologie ; elle a couvert je ne sais combien de vases en porcelaine de Chine d’oiseaux et de fleurs impossibles ; elle a enluminé des missels, et lu tous les romans religieux de la Haute-Église. Donc, ce qu’elle peut faire de mieux maintenant, c’est d’épouser Bulstrode.

John avait ses raisons particulières pour être d’accord avec Aurora sur ce sujet. Il se rappelait le secret de la pauvre Lucy, qu’il avait découvert plus d’une année auparavant à Felden : ce secret qui lui avait été révélé par le mystérieux pouvoir sympathique de l’amour sans espoir. Donc Mellish déclara qu’il approuvait hautement le projet d’Aurora, et les deux faiseurs de mariages se mirent à l’œuvre pour combiner le piège dans lequel Talbot devait tomber, ne supposant pas un seul instant que pendant qu’ils se cassaient la tête pour assurer le succès de leur intrigue, la victime désignée traversait tranquillement la pelouse en plein soleil pour se rapprocher du sort qu’ils lui ménageaient.

Oui, Talbot s’avançait lentement vers sa destinée, à travers une partie du parc qu’on pouvait considérer comme la limite du domaine de John. C’était un endroit délicieux, consolant par son harmonieuse influence ; un véritable sanctuaire de forêt, où en entrant l’homme redevient jeune. Le Capitaine ne se sentait pas d’excellente humeur en traversant la pelouse ; mais une influence bienfaisante s’empara de lui sur le seuil de cet abri naturel, de sorte qu’il se sentit mieux disposé. Il commença alors à se demander quel rôle il jouait dans le grand drame de la vie.

— Ciel ! — pensa-t-il, — quel lâche méprisable, quel misérable être je suis devenu par l’effet de ce seul chagrin ! Eh quoi ! fils indifférent, frère insouciant, créature inutile et sans but, je me contente d’une vie dépensée à de mesquines études d’économie politique ! Reprendrai-je jamais courage ? Ce doute aride sur tout ce qui existe doit-il m’accompagner jusqu’à la tombe ? Il y a moins de deux ans, mon cœur se désolait à la pensée que j’avais atteint l’âge de trente-deux ans sans avoir jamais été aimé. Depuis… de-