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Page:Braddon - Aurora Floyd, 1872, tome I.djvu/191

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AURORA FLOYD

bleus de Lucy, le problème est-il donc difficile à résoudre ?

Bulstrode, appuyé contre un large tronc de hêtre, regardait cette jolie figure, qui rougit à sa vue, et la première idée du secret de Lucy commença à se faire jour en lui. En ce moment, il ne songea pas à profiter de la découverte. Il ne songea pas non plus à ce qu’il allait dire. Son âme était encore pleine de l’émotion orageuse qui s’était trahie lorsqu’il avait poussé ce cri passionné devant Aurora. La rage, la jalousie, le regret, le désespoir, l’envie, l’amour et la haine, tous les sentiments divers qui s’étaient livré un combat de démons dans son âme à la vue du bonheur d’Aurora, n’avaient pas encore cessé de s’agiter dans sa poitrine et les premières paroles qu’il prononça révélaient les pensées qui l’agitaient encore.

— Votre cousine est très-heureuse dans sa nouvelle existence, mademoiselle Floyd, — dit-il.

Lucy le regarda avec surprise.

C’était la première fois qu’il lui parlait d’Aurora.

— Oui, — répondit-elle d’un ton calme, — je crois qu’elle est heureuse.

Bulstrode fît tourner sa canne sur un groupe d’anémones, et décapita les fleurs tremblantes. Il pensait avec fureur combien il était honteux que la glorieuse Aurora fût heureuse avec l’épais, le musculeux et jovial Mellish ; il ne pouvait comprendre cette étrange anomalie, ni découvrir la clef de ce secret ; il ne pouvait comprendre que l’amour dévoué de ce lourdaud fût assez fort de lui-même pour surmonter toutes les difficultés, pour contre-balancer toutes les différences.

Peu à peu Lucy et lui commencèrent à s’entretenir d’Aurora. Bientôt Mlle Floyd parla à son compagnon des mauvais jours passés à Felden, pendant lesquels on avait presque désespéré de l’existence de l’héritière. Donc elle l’avait aimé sincèrement, après tout ; elle avait aimé, elle avait souffert, elle avait cessé de souffrir, et elle l’avait oublié, et elle était heureuse. Toute l’histoire pouvait se dire en cette seule phrase. Talbot jeta un vague regard sur l’irrévocable