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Page:Braddon - Aurora Floyd, 1872, tome I.djvu/25

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AURORA FLOYD

si affectueuse et si sincère, qu’il ne pouvait se décider à lui dire qu’elle n’était pas tout à fait ce qu’il pouvait désirer qu’elle fût. S’il eût pu gouverner ou diriger cette nature fougueuse, il aurait fait d’elle la personne la plus douce, la plus élégante, la plus parfaite et la plus accomplie de son sexe, mais il n’y pouvait réussir, et force lui était de remercier Dieu de la lui conserver telle, qu’elle était, et de satisfaire à tous ses caprices.

Lucy, la fille aînée d’Alexandre Floyd, cousine germaine d’Aurora, autrefois éloignée d’elle, était l’amie et la confidente de cette jeune fille, et venait de temps en temps de la maison de campagne de son père, située à Fulham, passer un mois à Felden. Mais Lucy avait une demi-douzaine de frères et de sœurs, et recevait une éducation bien différente de celle que recevait l’héritière. C’était une jeune fille de petite taille, au visage blond, aux yeux bleus, aux lèvres vermeilles, aux cheveux dorés, qui regardait Felden comme le paradis sur la terre, et Aurora comme plus fortunée que la princesse royale d’Angleterre, ou que Titania, la reine des fées. Elle avait une peur atroce des poneys de sa cousine et de ses chiens de Terre-Neuve, et elle avait la ferme conviction qu’il y avait de grands risques de mort subite à s’approcher d’un cheval ; mais elle aimait et admirait Aurora comme font habituellement les caractères faibles, et elle acceptait le patronage et la protection de Mlle Floyd comme une chose toute naturelle.

Enfin un nuage obscur, mais indéfini, vint assombrir l’intérieur de Felden. Il y eut de la froideur entre le banquier et son enfant bien-aimée. La jeune fille passait la moitié de son temps à cheval, parcourant les sentiers ombreux des alentours de Beckenham, accompagnée seulement de son groom, jeune et joli garçon, qu’à cause de sa bonne mine M. Floyd avait choisi pour le service particulier d’Aurora. Après ces longues courses solitaires, elle dînait dans sa chambre, laissant son père prendre son repas tout seul dans la grande salle à manger, qui paraissait remplie quand elle s’y asseyait, et vide et désolée quand elle n’y était pas.