Aller au contenu

Page:Braddon - Aurora Floyd, 1872, tome I.djvu/259

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
255
AURORA FLOYD

et que ses tourments et son désespoir avaient décuplées. Il n’était point en son pouvoir de remettre en équilibre l’esprit qui jadis avait reçu un choc si terrible, qu’il en avait dispersé toute la sérénité, comme on disperse les rouages d’une montre, lorsqu’on la laisse tomber à terre avec force. L’horloger répare le dommage, et place ici une roue nouvelle, là un ressort nouveau, remet les aiguilles en marche, mais elles ne fonctionnent jamais aussi bien que lorsque la montre est sortie neuve des mains du fabricant, elles peuvent s’arrêter soudain sans l’apparence d’un motif. Aurora ne pouvait effacer le passé. Quelle que fût la nature de cette faute de son jeune âge, qui faisait le mystère de sa vie, elle ne pouvait y remédier ; non, elle ne le pouvait pas ! Ses larmes, son repentir, son affection, son respect, son attachement, pouvaient beaucoup sans doute ; mais il ne pouvait arriver à cela.

Le vieux banquier invita Bulstrode et sa jeune femme à se regarder comme chez eux à Felden, et à parcourir en voiture les bois d’alentour, absolument comme si c’eût été leur propre maison de campagne. Ils venaient quelquefois, et Talbot entretenait son grand oncle des infortunes des mineurs de Cornouailles, tandis que Lucy écoutait la conversation de son mari avec un mélange de respect et de joie. Floyd traitait ses hôtes de son mieux dans ces occasions, et donnait des ordres afin que les vins les plus vieux et les plus exquis de sa cave fussent servis pour l’agrément du Capitaine ; mais quelquefois, au milieu même d’un discours de Talbot sur l’économie politique, le vieillard soupirait d’ennui, et jetait sur la cime des arbres un regard plein de tristesse dans la direction du nord, vers la lointaine habitation du comté d’York, dans laquelle sa fille était reine.

Peut-être Floyd n’avait-il qu’imparfaitement pardonné à Bulstrode d’avoir rompu le mariage projeté entre lui et Aurora. Des deux prétendants, le banquier aurait certainement donné la préférence à Mellish ; mais il eût regardé comme convenable la retraite loin du monde du Capitaine, à l’occasion du mariage d’Aurora, et son éternel