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Page:Braddon - Aurora Floyd, 1872, tome I.djvu/260

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AURORA FLOYD

désespoir dans un exil sur la terre étrangère, au lieu de montrer son indifférence par une union précipitée avec la pauvre petite Lucy. Archibald avait les yeux fixés sur la blonde tête de sa nièce, assise dans la profonde embrasure de la croisée, ses tresses couleur d’ambre éclairées par les rayons du soleil, et les plis sinueux de sa robe de soie couleur de pêche, ressemblant à l’une des héroïnes si chères à l’école pré-raphaélite ; et il s’étonnait de ce que Talbot avait pu la remarquer. Elle était certainement fort jolie, avec ses joues vermeilles, son nez droit, ses narines rosées, et une incomparable finesse de traits ; mais aussi, quelle timidité, quelle froideur, à côté de cette déesse égyptienne, de cette reine assyrienne, aux yeux de flamme, et à la chevelure noire aux boucles ondoyantes !

Bulstrode était parfaitement calme, d’un caractère tranquille, et en apparence suffisamment heureux. Je me sers du mot suffisamment avec intention. C’est une chose dangereuse d’être trop heureux. Un bonheur à haute pression, une joie à soixante milles à l’heure, peut éclater et tourner à mal ; mieux vaut le train à petite vitesse, partant de bonne heure le matin, et descendant tranquillement les voyageurs sains et saufs sous la gare, aux premières ombres de la nuit, que ce rapide et impétueux train express, qui fait le voyage dans un quart moins de temps, mais qui parfois culbute sur un talus, ou monte sur un train de marchandises, dans son incommensurable vitesse.

Bulstrode était matériellement plus heureux avec Lucy, qu’il n’eût jamais pu l’être avec Aurora. Le culte que sa placide et blonde épouse avait pour lui flattait son amour-propre. Son obéissance empressée, son entier et constant assentiment à toutes ses idées et à tous ses caprices ; tout cela caressait son orgueil. Elle n’était point excentrique, elle n’était point emportée. Si son mari la laissait seule pendant toute une journée, dans la délicieuse petite maison qu’il avait meublée avant son mariage, il ne craignait pas de la voir faire seller son cheval, et s’en aller galoper dans Rotten Row, avec un seul groom pour la suivre. Elle n’était point esprit fort. Elle trouvait moyen