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Page:Braddon - Aurora Floyd, 1872, tome II.djvu/124

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AURORA FLOYD

pourquoi suis-je née, si je devais répandre sur ta vie de telles douleurs ?

Il n’y avait pas d’égoïsme dans sa douleur ; elle savait qu’il l’avait aimée, et que cette séparation serait la plus violente douleur de sa vie ; mais après les profondes mortifications que son orgueil de femme avait endurées, elle ne pouvait entrevoir, à travers la honte actuelle causée par la découverte de son premier mariage, un avenir de bonheur et de calme.

— Il croira que je ne l’ai jamais aimé, — pensait-elle ; — il croira avoir été la dupe d’une intrigante désireuse de regagner la position qu’elle avait perdue. Que ne pensera-t-il pas de moi qui ne soit horrible et ignoble ?

Le visage qu’elle voyait dans la glace était pâle et tiré ; ses grands yeux noirs secs et lustrés, ses lèvres fortement pincées sur ses dents blanches.

— J’ai l’air d’une femme qui pourrait bien se couper la gorge dans une crise comme celle-ci. Combien souvent m’est-il arrivé de m’étonner des actes désespérés commis par des femmes ! Je ne m’en étonnerai plus désormais.

Elle ouvrit une cassette et en tira une ou deux bank-notes, puis elle prit un peu d’or dans un des compartiments. Elle mit tout dans sa bourse, et, s’enveloppant dans son manteau, elle se dirigea vers la porte.

Elle s’arrêta sur le seuil pour parler à sa femme de chambre, occupée dans une autre pièce.

— Je vais au jardin, Parsons, — dit-elle ; — dites à M. Mellish qu’il y a une lettre pour lui dans son cabinet.

La chambre dans laquelle John rangeait ses bottes, ses armes et ses fouets était appelée cabinet par les domestiques respectueux.

Le chien Bow-wow quitta nonchalamment sa peau de tigre au moment où Aurora traversait le vestibule ; il vint flairer autour d’elle, et voulut la suivre hors de la maison. Mais elle le renvoya coucher, et l’animal soumis lui obéit comme lorsque, dans sa jeunesse, sa jeune maîtresse jetait sa poupée dans l’étang de Felden et envoyait le mâtin fidèle chercher sa blonde favorite de cire. Il lui obéit, mais avec