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Page:Braddon - Aurora Floyd, 1872, tome II.djvu/183

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AURORA FLOYD

gluantes, provenant des impressions humides des fonds des pots d’étain : il y avait tellement de crachoirs qu’il était à peu près impossible d’aller d’un bout de la salle à l’autre sans prendre involontairement des bains de pied de sciure de bois : il y avait une vieille table à jeu, dont le drap, de vert qu’il était primitivement, était devenu d’un jaune foncé, et qui était aussi râpé et déguenillé que l’habit d’un misérable ; et il y avait une fenêtre basse, dont le soubassement était presque de niveau avec le pavé de la rue.

Le Capitaine marchand ôta son chapeau, défi la bande de ruban et le col rond que lui avait vendus le fournisseur juif, et se jeta dans un fauteuil en acajou brillant près de la fenêtre. Les carreaux étaient couverts à l’intérieur d’un rideau cramoisi, et, le levant avec beaucoup de précaution, il regarda quelques moments dans la rue. Elle était assez solitaire et assez tranquille pendant cette sombre soirée d’été. Par-ci par-là des lumières brillaient à la fenêtre d’une boutique, et sur une porte ou deux un homme était debout à causer avec son voisin. Une seule pensée dominant toujours son esprit, il n’est pas étrange que Prodder se figurât que ces gens devaient nécessairement parler du meurtre.

La maîtresse de l’auberge apporta au Capitaine la côtelette qu’il avait commandée, et le voyageur fatigué s’assit devant une des tables et fît disparaître son unique plat. Il n’avait rien mangé depuis sept heures du matin et il ne lui fallut pas prendre beaucoup de peine pour engloutir les trois quarts de livre de viande que l’on avait fait cuire pour lui. Il finit sa bière, but son rhum et son eau, fuma une pipe ; et comme il avait encore la salle pour lui seul, il fit à l’improviste un lit avec les chaises mises en ligne, et, dans son propre langage, il se tourna sur ce dur hamac pour prendre un repos de courte durée.

Il aurait peut-être pu tranquilliser son esprit, avant cela, s’il avait voulu. Il aurait pu interroger la maîtresse du logis au sujet du meurtre de Mellish Park ; elle était probablement au courant aussi bien que qui que ce fût qu’il pouvait rencontrer au Lapin bossu. Mais il s’était abstenu de le faire, ne désirant attirer en aucune manière l’attention sur