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Page:Braddon - Aurora Floyd, 1872, tome II.djvu/188

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AURORA FLOYD

— Vous le connaissiez ! — s’écria l’aubergiste, ouvrant ses yeux tout grands.

— Je le connaissais, — répéta l’homme, — aussi intimement que je connaissais ma mère : et quand je lus ce meurtre, dans les papiers de dimanche passé, vous auriez pu me renverser comme une plume. James a choppé, à là fin, me suis-je dit ; car c’était un de ces gaillards qui vont à travers le monde en bousculant tellement les autres pour se faire une place, que, lorsqu’ils tombent, il n’y a pas grand malheur. C’était un des individus les plus égoïstes qu’il y ait sur terre ; et quand un gars arrange sa vie en faisant son grand principe de ne se soucier de qui que ce soit, il ne doit pas être surpris si sa fin n’intéresse personne. Oui, j’ai connu James Conyers, — ajouta l’homme, lentement et tout pensif, — et je l’ai connu dans des circonstances particulières.

L’aubergiste et l’autre homme dressèrent les oreilles en cet endroit de la conversation.

L’entraîneur de Mellish Park avait, comme nous le savons, acquis une certaine popularité dès l’heure où il était tombé sur le gazon plein de rosée du bois, frappé au cœur.

— Si vous n’avez pas d’objections particulières, — dit l’aubergiste du Lapin bossu, — j’entendrais avec un plaisir infini ce que vous pouvez avoir à dire sur ce pauvre garçon. Tout Doncastre prend grand intérêt à cette affaire, et mes habitués ont rarement entendu parler d’autre chose depuis le commencement de l’enquête.

L’homme à la casaque de velours se frotta le menton et fuma sa pipe en réfléchissant. Évidemment il n’était pas communicatif ; mais il était aussi certain qu’il était assez flatté de la distinction de sa position dans la petite salle de l’auberge.

Celui-ci n’était autre que Matthew Harrison, le marchand de chiens, le pensionnaire d’Aurora, l’homme qui avait trafiqué de son secret, et qui avait lui-même forgé la chaîne qui existait entre elle et l’indigne mari qu’elle avait abandonné.

Prodder se releva de dessus ses chaises à ce moment