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Page:Braddon - Aurora Floyd, 1872, tome II.djvu/199

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AURORA FLOYD

les dents du dragon, d’où la semence du diable avait fait sortir des hommes armés assez forts pour la dévorer. Mais si elle eût été sans faiblesse, elle n’eût pu être l’héroïne de cette histoire ; car je pense, comme un vieux sage l’a remarqué, que les femmes parfaites sont celles qui, ne laissant aucune histoire derrière elles, traversent la vie d’une manière si tranquille en faisant le bien sans bruit, qu’elles ne laissent aucune empreinte sur le sable du temps ; seulement, quelques souvenirs muets restent çà et là gravés profondément dans les cœurs reconnaissants de ceux qui ont été bénis par elles.

La présence même de l’homme mort dans l’intérieur de Mellish Park avait fait sentir dans la maison que la joie y avait régné autrefois. Le premier moment de la catastrophe passé, seul l’aspect sombre restait comme un sentiment d’accablement qui ne pouvait être éloigné. Il avait laissé sa trace dans la salle des domestiques aussi bien que dans les somptueux appartements d’Aurora. Le sommelier l’éprouvait aussi bien que le maître. Jamais auparavant aucune méchante action n’avait été commise dans l’intérieur de la propriété du jeune squire que la mort d’un malheureux cerf qui s’était précipité, pour chercher un dernier refuge, dans le jardin de Mellish Park, et avait été poursuivi par la meute furieuse sur la pelouse de velours. La maison était vieille, et était restée debout grise et couverte de lierre, pendant les jours périlleux de la guerre civile. Il y avait des passages secrets dans lesquels les loyaux seigneurs de Mellish Park s’étaient cachés pour fuir les féroces Têtes rondes, adonnés aux excès et au pillage. Il y avait de larges pierres au foyer, sur lesquelles de vigoureux coups avaient été échangés par des hommes forts, au pourpoint de cuir et aux grossières bottes à talons de fer ; mais les Mellish royalistes étaient toujours parvenus à se sauver, soit par la cheminée, soit par la cave, ou derrière un rideau en tapisserie, et les méchants Thompson, priant le Seigneur, et les John, exterminateurs des Philistins, s’en étaient allés après avoir pillé les coffres de vaisselle plate et vidé les barils de vin. Jamais, dans les lieux où Mellish