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Page:Braddon - Aurora Floyd, 1872, tome II.djvu/200

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AURORA FLOYD

avait pour la première fois vu le jour, on n’avait vu la sanglante main du Meurtre.

Il n’était donc pas étonnant que les serviteurs restassent longtemps à table et parlassent, en murmurant, des événements de la semaine précédente. Il y avait à parler d’autre chose que du meurtre. Il y avait la fuite de Mme Mellish du domicile de son mari le jour même de l’enquête. C’était très-bien à John d’avancer que sa femme avait été à la ville pour faire une visite à sa cousine Mme Bulstrode ; mais des femmes comme Mme Mellish ne vont pas faire des visites sans être accompagnées, sans avoir écrit un mot d’avertissement, sans le plus petit accompagnement de sacs et de bagages. Non, la châtelaine de Mellish Park s’était sauvée de la maison sous l’influence de quelque panique soudaine. Mme Powell n’en disait pas plus, mais elle en laissait supposer bien davantage. Car cette sorte de femme ne répand-elle pas toujours ses opinions en les établissant d’une manière certaine ? La chose sautait aux yeux. Sans doute Mellish avait pris le parti le plus sage ; il avait couru après sa femme et l’avait ramenée, et avait fait de son mieux pour étouffer l’affaire ; mais le départ d’Aurora avait été une fuite, une fuite subite et spontanée.

La femme de chambre de Madame (ah ! combien de magnifiques toilettes qui leur ont été données par une généreuse maîtresse sont proprement pliées dans leurs boîtes de jeune fille au second étage !) raconta comment Aurora était entrée dans sa chambre, pâle, les yeux hagards, et s’était habillée elle-même sans aide pour ce voyage précipité, le jour de l’enquête. Cette fille aimait sa maîtresse, elle l’adorait, peut-être, car Aurora avait l’étonnante et dangereuse faculté de se faire aimer de tous ceux qui l’approchaient ; mais c’était si drôle d’avoir quelque chose à dire sur ce sujet absorbant et d’être à même de faire figure dans cette solennelle réunion ! D’abord on n’avait parlé que de l’homme tué, en faisant des réflexions sur sa vie et sur son histoire, et on avait bâti là-dessus une douzaine de vues théoriques sur le meurtre. Puis le courant avait tourné, et on avait parlé de Mme Mellish. On ne mêla pas