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Page:Braddon - Aurora Floyd, 1872, tome II.djvu/207

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AURORA FLOYD

Comme cette ancienne histoire d’amour semblait éloignée depuis que le tranquille bonheur de sa vie domestique avait commencé par son mariage avec Lucy ! Il n’avait jamais été infidèle, dans l’ombre la plus éloignée de sa pensée, à son second amour ; mais maintenant qu’il connaissait le secret de la vie d’Aurora, il regardait en arrière et se demandait comment il aurait pu supporter cette cruelle révélation, si la destinée de John avait été la sienne ; s’il s’était fié à cette femme, s’il avait continué à l’aimer malgré le monde, malgré les paroles étranges qui avaient si terriblement fortifié ses craintes et si cruellement redoublé ses sombres doutes.

— Pauvre fille, — pensa-t-il ; — ce n’est pas étonnant qu’elle ait tremblé en me racontant cette histoire humiliante. Je n’ai pas été assez tendre. Je l’ai jugée avec mon orgueil obstiné et sans pitié. Je pensais à moi plutôt qu’à elle et à ses chagrins. J’ai été barbare et mal élevé, et je ne m’étonne pas qu’elle ait refusé de se confier à moi.

Talbot, en raisonnant après le fait, découvrait les points faibles de sa conduite avec une clarté de vision surnaturelle, et ne put réprimer un vif regret de n’avoir pas agi plus généreusement. Il n’y avait nulle infidélité à Lucy dans ses pensées ; il n’aurait pas échangé sa petite femme si dévouée contre la divinité aux yeux noirs du passé, quand bien même une fée toute-puissante se fût levée à ses côtés pour annuler son mariage et pour former un nouveau lien entre lui et Aurora. Mais il était homme, et il sentait qu’il avait fait beaucoup de mal, insulté et humilié une femme dont la plus grande faute avait été la confiante folie d’une innocente jeune fille.

— Je l’ai laissée sur le plancher de cette chambre de Felden, — pensa-t-il, — à genoux par terre, avec sa magnifique tête courbée devant moi. Ô moi ! Dieu ! puis-je jamais oublier l’angoisse de ce moment ! Puis-je oublier combien cela m’a coûté de faire ce que je pensais être juste !

Une sueur froide lui vint au front, au souvenir de cette affliction passée, ainsi que cela arrive à un poltron, se rappelant d’une manière trop vive l’extraction d’une double