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Page:Braddon - Aurora Floyd, 1872, tome II.djvu/206

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AURORA FLOYD

petites histoires sentimentales qui ont précédé leur mariage ? Ne vaudrait-il pas mieux rire librement à propos des yeux noirs et de la moustache de Charles, et espérer que le pauvre garçon fait pour le mieux en partant au service des Indes, que de garder un squelette, sous la forme du fantôme d’un enseigne au 87e, caché au fond de quelque sombre recoin de la mémoire féminine ?

Mais d’autres souffrances que celles des femmes s’endurent derrière le Times. Le mari lit les mauvaises nouvelles de la Compagnie de chemin de fer dans laquelle il a si inconsidérément placé l’argent, que sa femme croit en sûreté dans les Consolidés et suivant son petit bonhomme de chemin à trois pour cent. Un élégant fils de famille, ayant le goût et les tendances de Newmarket, lit de mauvaises nouvelles du cheval pour lequel il a parié si hardiment, peut-être d’après les conseils d’un prophète de Manchester, qui garantissait de faire gagner à ses amis un chapeau plein d’argent pour la petite récompense de trois shillings six pence en timbres-poste. Visions d’un livre qu’il ne serait pas très-facile de régler : d’une liste noire, d’engagements de jeu ou de payement à faire à une multitude de teneurs de livres de paris, en colère, criant après ce qui est dû, et nullement paresseux pour suggérer l’idée d’un abreuvoir à la portée de la main et aussi la possibilité d’avoir du goudron et des plumes à défaut de Welshers traînants et de mauvais goûts ; toutes ces choses se heurtent dans le cerveau désorganisé du jeune homme, tandis que ses sœurs supplient qu’on leur dise si les Diamants de la Couronne doivent se jouer le soir et si cette chère Mlle Pyne gazouillera les variations de Rode avant la chute du rideau. Et pendant ce temps il a regardé le programme de Covent Garden, donné les informations demandées, et il est prêt à déposer le journal et à commencer tranquillement son déjeuner, méditant les manières et les moyens de sortir d’embarras.

Lucy lisait un roman, tandis que son mari était assis, le Times devant lui, pensant à tout ce qui lui était arrivé depuis sa première rencontre avec la fille du banquier.