Aller au contenu

Page:Braddon - Aurora Floyd, 1872, tome II.djvu/22

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
18
AURORA FLOYD

son encadrement de roses et de clématites, de jasmins et de myrtes, et ressemblait au sabord d’un navire voguant sur une mer de verdure. Il parcourait du regard, à travers l’ouverture circulaire formée par les guirlandes de feuilles et de fleurs, les longues clairières dans lesquelles la lumière du soleil miroitait dans les branches onduleuses de la fougère. Il suivait de l’œil les sentiers sinueux du petit bois, jusqu’à ce qu’ils eussent conduit ses yeux fatigués vers des nappes d’eau bleue qui se transformaient peu à peu en opale et en rose avec le déclin de la lumière. Il voyait toutes ces choses avec une apathie qui n’avait pas le pouvoir de lui faire reconnaître leurs beautés, ni de lui inspirer le plus petit atome de reconnaissance pour Celui qui les avait faites. Il eût mieux valu qu’il eût été aveugle.

Il tourna le dos au soleil couchant, et regarda la figure blême de Steeve Hargraves avec le même sentiment d’indifférence qu’il avait ressenti en contemplant l’aspect enchanteur de la nature.

— Une journée bien longue, — dit-il ; — une journée horriblement ennuyeuse et fatigante ! La voici terminée, Dieu merci.

Ce qu’il y a d’étonnant, c’est que pendant qu’il formulait ce remercîment impie, aucun secret avertissement de l’avenir ne parcourut ses veines pour glacer les battements de son cœur, pour arrêter ces paroles sacrilèges sur ses lèvres. S’il eût su ce qui devait arriver si promptement ; s’il eût su, en remerciant Dieu de la fin de cette belle journée d’été, qui ne pouvait jamais revenir avec ses douze heures propices pour le bien ou le mal, certes, il se fût roulé par terre, frappé de terreur subite, et il eût pleuré tout haut pour la honteuse histoire de sa vie, qu’il laissait derrière lui.

Il n’avait jamais répandu de larmes qu’une seule fois depuis son enfance, et encore ces larmes étaient-elles des gouttes brûlantes de rage et de honte, de fureur et de vengeance, pour l’anéantissement du plus grand projet de sa vie.

— J’irai à Doncastre ce soir, Hargraves, — dit-il à l’idiot,