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Page:Braddon - Aurora Floyd, 1872, tome II.djvu/36

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AURORA FLOYD

sommeil, mais une sorte de torpeur s’était emparée de lui ; il lui semblait que sa tête pesait cent livres, et qu’elle l’entraînait à travers l’oreiller dans un abîme sans fond.

Pendant que l’entraîneur demeurait engourdi dans ce demi-sommeil, Hargraves traversait lentement et à contre-cœur le bois pour gagner la muraille invisible, point duquel il se promettait de reconnaître les lieux.

La façade irrégulière de la vieille maison se trouvait en face de lui, de l’autre côté de la pelouse, semée çà et là de corbeilles aux vives couleurs, de rustiques troncs de chênes rabougris supportant de pesantes grappes de géraniums écarlates qu’enflammaient les rayons du soleil, d’arcades treillagées chargées de roses grimpantes de toutes les variétés, depuis le rosé le plus pâle jusqu’au grenat le plus foncé, et de groupes d’arbustes rares, dont chaque feuille était riche en beauté et en vigueur.

L’idiot, dans la demi-obscurité de son âme, possédait un léger rayon de cette lumière qui manquait totalement à Conyers. Il sentait quand les choses étaient belles. Les lignes rompues de la façade du château couvert de lierre, gothique ici, là plus moderne, lui plaisaient en quelque sorte. Les feuilles de roses éparpillées sur la pelouse, les ombres capricieuses des arbres sur le gazon, le chant de l’alouette, trop paresseuse pour s’envoler et contente d’errer de buisson en buisson, le bouillonnement d’une cascade lointaine, formaient un langage dont il ne comprenait que quelques syllabes par-ci par-là, mais qui cependant n’était pas un langage sans signification pour lui comme pour l’entraîneur, à l’esprit duquel Holborn Hill eût donné la même idée du sublime que les sentiers vierges de la Jungfrau. L’idiot s’apercevait vaguement que Mellish Park était beau, et il n’en ressentait que plus de haine contre la personne dont l’influence l’avait chassé de son ancienne demeure.

La façade de la maison était au midi, et par cette chaleur accablante les jalousies étaient toutes fermées. Hargraves cherchait des yeux son vieil ennemi Bow-wow, qui, selon toute probabilité, devait être couché sur le per-