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Page:Braddon - Aurora Floyd, 1872, tome II.djvu/63

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AURORA FLOYD

Ses paroles étaient entrecoupées de rapides soupirs nerveux, mais elle ne pleurait pas.

— Voudriez-vous donc m’entendre dire autre chose que ce que je vous dis ce soir ? Je vous hais, je vous abhorre, je vous considère comme la cause première de tous les chagrins que j’ai connus, de toutes les larmes que j’ai versées, de toutes les humiliations que j’ai endurées, de toutes les nuits d’insomnie, de toutes les journées de fatigue, de toutes les heures de désespoir que j’ai passées. Plus encore !… oui, mille, mille fois plus… je vous considère comme la première cause des malheurs de mon père. Oui… avant même la folie sans nom que j’eus de croire en vous… de penser que vous étiez Claude Melnotte, peut-être !… Maudit soit l’homme qui écrivit la pièce et l’acteur qui joua le rôle, s’il a aidé à faire de moi ce que j’étais quand je vous ai rencontré ! Je vous répète que je vous hais ! votre présence empoisonne ma demeure, votre ombre abhorrée trouble mon sommeil… non ! pas mon sommeil, car comment dormirais-je jamais, sachant que vous êtes là ?

Conyers, qui, apparemment, était fatigué de marcher, s’appuya contre un arbre pour écouter la fin de ce discours. Mais la fureur d’Aurora avait atteint ce point où toute conscience des choses extérieures disparaît devant la colère et la haine. Elle ne remarquait pas l’air indifférent de l’homme auquel elle parlait ; ses yeux étaient fixés droit devant elle, dans l’obscurité, sur l’endroit même où Prodder considérait l’unique enfant de sa sœur. Sa main impatiente déchirait la bordure de son châle. Avez-vous jamais vu une femme de cette nature en colère ? impétueuse, nerveuse, sensible, ardente ; chez ces femmes, la colère est une folie, courte, Dieu merci ! qui se dépense en mots cruels et blessants, en déchirements de dentelles et de rubans, sans quoi le coroner aurait à siéger plus fréquemment qu’il ne le fait. Il est heureux pour le genre humain que des paroles acerbes satisfassent l’animosité de ceux qui s’en servent comme d’un poignard, et que nous puissions menacer de choses cruelles sans avoir l’intention de les exécuter, comme