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HENRY DUNBAR

simples, car il sait que chaque regard, chaque action sont épiés, que chaque mot est écouté, dévoré par des hommes qui sont tout prêts à l’accuser, par des hommes qui ont intérêt à le découvrir à cause de la récompense qui leur sera accordée, par des hommes expérimentés qui ont étudié la philosophie du crime et qui, par suite d’un talent particulier, savent trouver dans un regard, dans une parole, une sombre signification qui échappe aux autres personnes. Le meurtrier sait que l’odeur du sang est dans l’air et que les limiers sont à l’œuvre. Il sait cela, et c’est en ce moment qu’il lui faut affronter hardiment le monde et mesurer ses regards et ses paroles de manière à tromper les espions inconnus. Il n’est jamais seul. Le domestique qui le sert, le facteur de la gare qui lui indique un siège confortable dans le compartiment de première classe, ou qui porte son bagage, le marin qui le suit du coin de l’œil pendant qu’il respire la brise de la mer sur le pont du navire qui doit l’emmener en lieu de sûreté, n’importe qui autour de lui peut être un agent de la police secrète, et à tout moment la foudre peut le frapper sous forme d’une main qui s’appuie légèrement sur son épaule et lui fait sentir qu’il est perdu. Comment s’étonner dès lors qu’un criminel soit généralement lâche, et qu’il se trahisse par quelque folie ?

Le jeune homme s’était laissé emporter par son sujet et avait parlé avec une étrange énergie.

Dunbar rit tout haut de l’enthousiasme de l’avoué.

— Vous auriez dû vous faire avocat, monsieur Lovell, — dit-il. — Ce thème vous eût fourni une magnifique entrée en matière pour votre discours contre l’accusé. Je vois d’ici le malheureux frissonnant sur sa sellette et tremblant de peur sous ce torrent d’éloquence judiciaire.

Dunbar rit de tout son cœur après avoir parlé, se