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HENRY DUNBAR

Pour Laura, le monde était encore entièrement beau, car les sombres secrets de la vie ne lui avaient pas été révélés.

Une seule fois, l’affliction l’avait approchée, et, en cette occasion, elle avait revêtu une forme calme et solennelle. Ç’avait été à l’époque de la mort de son grand-père arrivé à un âge avancé et qui avait terminé une vie heureuse et douce dans les bras de sa petite-fille bien-aimée.

Peut-être son premier chagrin réel lui vint-il de l’amère déception qui suivit le retour de son père en Angleterre. Dieu sait avec quelle tendresse la jeune fille avait soupiré après le moment où elle reverrait Dunbar !… Ils avaient été séparés pendant la meilleure partie de sa courte existence, mais qu’importait la séparation ! Il la chérirait d’autant plus que la séparation avait été plus longue. Elle se proposait d’être pour son père ce qu’elle avait été pour son grand-père, une compagne aimante, un ange consolateur.

Mais ce rêve ne se réaliserait jamais ; son père repoussait son affection, les preuves étaient là, claires et incontestables. Il avait fui sa présence dès le début, et elle avait maintenant pris l’habitude de le fuir à son tour. Elle s’entretint avec Arthur de cette douleur inattendue.

— De toutes les pensées qui m’étaient venues à l’idée, Arthur, celle-ci était la seule à laquelle je ne m’étais pas arrêtée, — dit-elle à voix basse et d’un air pensif un soir qu’ils étaient tous deux dans la profonde embrasure d’une fenêtre à regarder la vaste pelouse, où l’ombre des cèdres se projetait en taches noires sur l’herbe argentée par la lune ; — j’avais pensé que mon père pouvait tomber malade en voyage et mourir, et que le navire pour le salut duquel je priais nuit et jour, ne m’apporterait peut-être que les restes sacrés du mort. J’ai eu cette pensée, Arthur, et il m’est arrivé de