Page:Braddon - Henry Dunbar, 1869, tome I.djvu/201

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
197
HISTOIRE D’UN RÉPROUVÉ

rester éveillée toute la nuit en proie à cette torture, au point que mon esprit se représentait ce sombre tableau, et que je voyais mon père dans sa petite cabine sur le vaisseau, étendu sans forces sur un lit étroit, et n’ayant autour de lui que des étrangers pour le consoler à sa dernière heure. Je ne puis vous dire toutes les craintes qui sont venues m’assaillir, mais jamais, jamais je n’aurais pensé qu’il ne m’aimerait pas. J’ai même songé parfois qu’il était bien possible qu’il ne ressemblât pas à mon grand-père, et qu’il fût un peu méchant de temps en temps quand je l’aurais ennuyé ou chagriné, mais je me figurais que son cœur serait à moi quand même, et que dans ses moments les plus terribles il m’aimerait tendrement en souvenir de ma mère.

La voix lui manqua et elle sanglota tout haut ; mais le jeune homme, debout à côté d’elle, n’eut aucune parole de consolation à lui faire entendre. Les plaintes de la jeune fille réveillèrent ce vieux soupçon qui avait sommeillé en lui depuis quelque temps, cette crainte horrible que Dunbar ne fût coupable de l’assassinat de son ancien valet.

Le jeune avoué était pourtant forcé de dire quelque chose.

Il eût été trop cruel de rester à côté de cette jeune fille qui sanglotait, et de ne pas essayer de la consoler.

— Laura !… chère Laura !… — dit-il, — ceci est de l’enfantillage, croyez-moi. Il vous faut prendre patience et avoir confiance en l’avenir. Comment votre père pourra-t-il faire autrement que de vous aimer quand il aura appris à vous connaître ? Vous avez peut-être trop exigé de lui. Rappelez-vous que les personnes qui ont longtemps vécu aux Indes sont sujettes à avoir des manières froides et languissantes. Lorsque M. Dunbar vous aura vue plus souvent et vous connaîtra mieux, lorsqu’il sera habitué à votre compagnie…